Alice et Armand ont tous les deux plus de 80 ans. Ce sont les ex voisins de ma grande tante adorée et feu son époux. Ils résident toujours dans un petit trois pièces qui domine la baie de Cannes au pied du vieux Cannet.
C’est un couple atypique, radicalement opposé.
Alice est une femme merveilleuse. C’est la parisienne dans toute sa splendeur.
Elle a eu une vie folle, où l’argent coulait, les fêtes s’enchaînaient sans cesse, les aventures, les maris, mais au bout du compte pas d’enfant. Elle me racontait sans nostalgie ni fanfaronnade comment elle quittait la boite de nuit de Régine à Paris au petit matin pour descendre tombeau ouvert avec son cabriolet jusqu’à Monaco.
Elle avait été une grande dame, elle en gardait le pétillant, la classe.
Elle avait ce quelque chose de formidable de l’acceptation des années passées. Il n’y avait pas d’amertume d’être devenue une grand-mère. Elle aimait tant vivre qu’elle se délectait de tous les instants. Elle était et est restée jusqu’à la fin une étoile brillante.
Armand est corse. La caricature même de l’insulaire renfrogné, au visage dur et impassible. Il parle très peu. Et le peu qu’il parle son accent prend beaucoup de place. Il a des lunettes épaisses, le cheveux rare, la peau tannée. Il a une stature imposante certes un peu voutée, totalement opposée à Alice, petit bout de femme qui refuse de porter des lunettes, toute blonde, toute menue.
Armand est un peu rustre. Il joue le mal dégrossi. Alice est très raffinée. Mais j’ai l’impression d'un jeu théâtral entre eux. Comme si chacun de son coté joutait de sa différence. Pour qu’ensemble leur opposition soit saisissante. Mais ce qui saute aux yeux, au coeur plutôt, c’est l’amour qui les unit. Ils s’aiment c’est évident. Eux les secondes mains de la vie, eux aux divorces multiples, se sont trouvés pour finir leur vie ensemble. C’est juste magique.
Armand toutes les semaines offre à Alice, un très beau bouquet de roses.
Pas une semaine, il ne manque à son devoir de compagnon aimant, fidèle et charmant.
J’ai l’occasion de les rencontrer pour des parties de rami. Je me délecte de ses instants inter générationnels. C’est du petit lait pour le jeune adulte que je suis.
Je descends autant que possible à Cannet voir ma grande tante qui est plus ma mère qu’autre chose.
Les fêtes de fin d’années sont l’occasion de nous retrouver et d’aller faire quelques parties chez Alice et Armand.
Comme à chaque fois ils savent recevoir. Pas question pour eux que dîner autre chose qu’au champagne. Pour ma part, les parties de rami ne sont que des prétextes même si j’aime bien jouer. Nous tirons à chaque fois au sort notre partenaire.
Armand aime faire des incantations sur la pile de la pioche. Avec ces doigts il appelle quelques forces obscures à lui venir en aide. Armand qui joue les inaccessibles.
Armand et Alice ne sont plus.
Alice s’en est allée la première, laissant derrière elle un Armand broyé par le chagrin. Il est reparti en Corse s’isoler, comme s’il voulait vivre encore plus intensément sa douleur.
Puis un jour, Armand s’en est allé lui aussi.
Ils me manquent. je les aimais beaucoup.
Mais tout n’est pas perdu.
Il me reste des souvenirs incroyables.
Armand m’a donné une des plus belles leçons d’intelligence qui m’ait été enseignée.
Il l’a fait sans volonté de transmission.
Quel panache!
C’était juste fabuleux.
Armand m’explique qu’à une époque où son entreprise de BTP lui assurait des revenus très confortables, il s’est pris de passion pour le casino. Au fil du temps il constate qu’il devient totalement accro.
Non seulement il engloutit ses économies, mais il découvre avec effroi, quel malheur et malêtre cela entraine chez lui.
Il décide d’en terminer.
Alors un soir il se rend dans un des plus prestigieux casino de la côte. Il pose une énorme somme sur la table de la roulette et il joue sans compter. En quelques coups la somme est perdue. Devant un parterre de clients fortunés et dans une salle bondée, il déclare haut et fort que la roulette est truquée. Le directeur du casino est appelé. Le taulier déclare devant l’assemblé que la roulette sera vérifiée. Que les sommes seront remboursées si l’organisme extérieur trouvait quelque chose à redire.
Armand sait que la roulette n’est pas truquée.
Il sait surtout qu’en accusant l'établissement de tricher devant ses clients, Armand sera définitivement interdit de tous les casinos de la région.
Il s’est acheté sa liberté en acceptant de perdre beaucoup une dernière fois.
La distance sera mise par le propre objet de son mal.
Quelle leçon!
Encore aujourd’hui, je me rappelle et applique ce précepte; au jardin, dans les rapports aux autres. Une forme d'Aikido sur soi-même et ses idées. Profiter de la force qui veut vous mettre au sol, pour l'amener toute seule au tapis. Identifier son problème et à défaut de le corriger par soi-même, utiliser son effet négatif pour se sevrer, se protéger, se corriger.
Armand merci.
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Bravo! Quelle belle histoire!... Elle me parle bien. :)
RépondreSupprimerJe vous remercie pour cette histoire. Je la trouve à la fois belle et émouvante... Il y a des personnes qui marquent notre vie jusqu'à en changer le cours.
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